« Les extrêmes se rejoignent toujours au bout d’un moment », m’a-t-on enseigné. Cette vérité, je l’ai maintes fois vérifiée. Exposée au froid, la peau finit par brûler. D’ailleurs, il peut nous arriver instinctivement de souffler sur un sorbet avant de le déguster. En homéopathie, on soigne les piqûres d’insectes avec du venin d’abeilles. Le mal par le mal, c’est bien connu. Les conséquences d’une grève de la faim prolongée et d’un concours d’ingestion de hot-dogs sont à peu près similaires. ‘Faut pas se leurrer. Trop ou pas assez : même combat, même douleur.
Hypoglycémie, hyperglycémie. Hypothyroïdie, hyperthyroïdie. Nain, géant. Maigre, obèse. Trop bon, trop con. Pleurer de joie. Rire nerveux. Temporellement, comble de l’allégorie : le vieillard rapetisse, porte des couches et perd ses cheveux. Retour à la case départ.
Sur le plan matériel ou physique, les exemples autour de la théorie de l’attraction des extrêmes se comptent par centaines et tombent sous le sens. Sur le plan de l’immatériel, notamment celui de la pensée, le parallèle n’est pas aussi facile à démontrer. Et pourtant, sournoisement, les idéologies opposées s’attirent. Se mêlent. S’induisent. S’incitent.
Politiquement d’abord, avec les partis. Extrême droite, extrême gauche. Pas sur le fond des idées, qui sont évidemment diamétralement opposées, mais sur la forme. Le côté jusqu’au-boutisme de certains militants, prêts à tout pour se faire entendre.
Philosophiquement aussi, avec les mouvements idéologiques.
Prenons le féminisme. Ce mouvement social, qui promeut l’émancipation de la femme, s’est construit tout naturellement en réaction à l’inégale répartition des droits, des devoirs et des chances entre les sexes. Il s’agit donc d’un courant de pensée visant à lutter contre la discrimination sexuelle, dont les premières victimes furent, et sont encore dans bien des cas et bien des lieux, les femmes. Or, le mot utilisé pour qualifier cet engagement n’est autre que l’antonyme de « machisme », dans les dictionnaires. L’extrême inverse, en un mot. Un détail littéraire, me direz-vous. Toujours est-il que le sens a tendance à s’extraire du papier et à prendre des formes plus absurdes qu’abstraites. Ainsi, on observe parfois de drôles d’allégations, sous l’étiquette « féminisme ».
L’écriture inclusive, avec ses codes difficilement lisibles et carrément imprononçables, permettrait de lutter pour l’égalité sexuelle. Ce qui sous-entendrait que le « tous » ou le « chacun », écarterait du propos le genre féminin. Les langues où la différence de genre est particulièrement marquée, comme l’arabe, sont-elles utilisées dans des contrées exemplaires sur le plan du droit des femmes ? La misogynie ne s’affranchit-elle pas de la grammaire ?
Un autre postulat étonnant s’inscrit dans la veine féministe. L’idée, relayée par l’Obs est la suivante : si les femmes sont plus petites et plus minces que les hommes, c’est parce que ces derniers se sont historiquement accaparé la nourriture, et en particulier la viande. La domination masculine se prouverait donc physiquement et biologiquement.
De même, enseigner aux enfants que l’ovule, bien que grammaticalement masculin, est pénétré par le spermatozoïde, naturaliserait le stéréotype d’un « gamète femelle qui attendrait nonchalamment le baiser princier du vainqueur », nous affirme le site Slate. Pourtant, quelle que soit la manière dont le gamète mâle atterrit dans l’ovule, il y atterrit. Quand je dis : « je pénètre dans la pièce », il n’y a rien de sexiste envers la pièce, qu’elle se rassure.
Les excès d’une branche du féminisme semblent encouragés, consciemment ou non, par de nouveaux termes utilisés pour définir l’oppression masculine. Ces mots, de fait, positionnent la femme en victime permanente et l’homme en salaud perpétuel. Ce qui n’est agréable pour personne. « Manspreading », ou l’art d’écarter les jambes en position assise. « Manterrupting », ou l’art de couper la parole aux femmes. Sur un plateau de télévision, la ministre Marlène Schiappa accusait Jean-Claude Van Damme de « mansplaining », parce qu’il l’avait interrompue pour dire une ânerie. N’était-ce pas plutôt l’ânerie en elle-même, qu’il fallait critiquer ? L’intervention de l’acteur s’inscrivait-elle réellement dans une attitude machiste, ou n’illustrait-elle pas tout simplement un comportement stupide de l’individu ? N’aurait-il pas coupé la parole de la même manière à n’importe quel autre invité, homme ou femme ?
Les questions restent ouvertes, bien sûr. Mais on ne peut nier une tendance récente à la généralisation. Au cliché. Certaines féministes glissent doucement du « Pro » vers l’« Anti ». Et en plus de faire culpabiliser ceux qui ne sont pas les auteurs des méfaits sexistes de leurs pairs, cela dessert avant tout la cause première du combat féministe. Et celui-ci, en conséquence, peut malencontreusement générer chez certains une haine irraisonnée envers les femmes.
Lorsqu’il est poussé à l’extrême, le féminisme dérive vers la misandrie, et ainsi mène à la misogynie. Ne devrions-nous pas demeurer simplement antisexistes et se battre ardemment contre la discrimination sexuelle ? Tout comme l’animalisme exagéré, qui dérive vers la misanthropie et pousse à l’antiveganisme. L’humain faisant partie du règne animal, on peut déplorer le malentendu. Ne devrions-nous pas préférer l’antispécisme, un combat pacifiste et égalitaire, qui permettra l’évolution des consciences en douceur ?
Les extrêmes se rejoignent toujours au bout d’un moment.
À l’heure où les peuples se lèvent contre les injustices perpétrées par leurs gouvernements, ne faut-il pas justement rester soudés ? Alors que les puissants essayent de nous diviser, ne cédons pas à la tentation. Ni par notre couleur de peau, ni par nos origines, ni par nos orientations amoureuses et encore moins par notre sexe. Entre l’inné et l’acquis, seul l’acquis peut être combattu. Voilà peut-être l’exception à la règle. L’acquis, même extrême, ne pourra changer l’inné. Rien ne sert donc de le condamner.